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Texte
L’ADIEU À HONGKONG
Dans la nuit du 30 juin, juste après minuit, le yacht royal «Britannia»
lèvera
l’ancre pour un ultime voyage, emportant à son bord Chris Patten, le dernier
gouverneur britannique de la paradoxale et somptueuse île aux trésors
de
l’Asie. Après la cérémonie de passation des pouvoirs au nouveau palais
des
Congrès, les couleurs britanniques seront amenées des bâtiments officiels
pour
être remplacées par le drapeau rouge de la Chine et l’orchidée de la région
de
Hongkong. Dans le port de Victoria, l’Union Jack, qui flottera encore
quelques
minutes avant de disparaître au large, sera la dernière flamme d’une
souveraineté arrachée à l’empire du Milieu en 1842 après la première guerre
de l’Opium et concrétisée en 1898 par un bail de 99 ans. Hongkong, entassée
sur ses minuscules 1085 kilomètres carrés, sera encore la plus importante
place financière d’Asie. Et entend de toute évidence le rester sous la
bannière de
Pékin.
M. Chu me sert le thé de la bienvenue
dans le minuscule appartement qu’il occupe
au-dessus de sa boutique d’herbes et de
substances médicinales, près de l’ancienne
rue du Cimetière. A 83 ans, son regard pétille de
jeunesse et d’intelligence, mais il est si
frêle qu’auprès de lui j’ai le sentiment
d’avoir les pieds trop grands et des poutres
à la place des bras. Il pose la théière sur le
tabouret qui nous sépare et me regarde sans
rien dire, avec un sourire à la fois aimable et
ironique, un sourire que je connais depuis
près d’un quart de siècle mais dont je ne
sais toujours pas s’il est une manifestation
d’amitié ou un réflexe de tolérance
confucianiste. Je lui demande ce qu’il pense
de l’avenir de sa ville et, comme d’habitude,
il me répond à côté de la question: «Savez
-vous que les premiers habitants de Hongkong
n’étaient pas chinois mais plutôt aborigènes?
Ils appartenaient à la race des Yao et la
légende prétend qu’ils descendaient des
amours d’un chien et d’une princesse.»
M. Chu me dit cela avec un rire
grelottant qu’il cache de sa main gauche, un
geste très chinois de politesse à l’ancienne.
En fait, ce n’est pas pour me
documenter que je réserve toujours ma
première visite à M. Chu. Depuis que j’ai
eu le privilège de le rencontrer - grâce à l’une
de ses filles qui me servait de guide occa-
sionnel -, je sais qu’il ne me cédera rien de
ses opinions, bien que certains de ses
silences m’en disent parfois bien plus qu’une
longue analyse. Je viens chez lui pour
respirer le parfum d’une Chine qui ne lui
survivra pas.
De notre envoyé spécial. Serge Lentz.
Paris Match no 2508 - 19 juin 1997.
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